Charlie Hebdo

20150111_charlieAh si tous les cons du monde pouvaient se donner l’épée et se faire hara-kiri!

Je suis Charlie, mais je ne le serai plus, ou du moins plus comme avant. Car si l’on a rapidement paré ces exécutions de l’atteinte à la République, à la démocratie et à la liberté de presse, je ne doute pas que ces trois institutions se relèveront, pas eux… Eux qui œuvraient ensemble à raviver salutairement cette institution aujourd’hui disparue, la fête des fous. Nous avons pour la plupart oublié que toute sacralité, qu’il s’agisse des religions, des états, et de leur cohorte de valeurs, se doivent d’être par moment bravés, inversés, portés en ridicule pour que nous ne sombrions pas dans une masse informe et univoque. Nous leur devions aussi cette opportunité de la  « politesse du désespoir », comme le disait Desproges, cette chance de pouvoir rire de tout.
Mais l’heure est aux replis identitaires et communautaires qui sont certainement le plus fertile terreau à l’émergence des cons de toutes sortes. C’est aussi celle où l’on ne souhaite plus discerner qui émet quoi et dans quel but, mettant sur le même niveau une caricature d’un religieux par un doux humaniste et les jeux de mots sur la shoah par un antisémite. Cabu affichait sa vision du monde à travers son humour, Dieudonné continuera de cacher la sienne derrière ses prétentions à être drôle. Oui, au milieu de cette vague de solidarité qui perdure depuis ce sinistre événement ont affleuré quelques noirs rochers, des gens pour dire que « quand même, ils étaient racistes, sexistes, islamophobes et anti-chrétiens, mais qu’on aurait pas dû les tuer pour ça ». Aurait-il fallu alors les enfermer, les exiler, les trépaner ? Faudrait-il que pour préserver les susceptibilités de toutes ces communautés, dans lesquels le plus petit nombre jette le plus grand nombre, que pour se prémunir de la haine entre elles, nous ne devions avoir plus que comme objet d’humour la « drague en camping » et « les blonds au ski » ? Visiblement, même l’humour a son eschatologie et on risque de marcher dedans.

Plutôt que de jouer les vierges effarouchées, les tenants de l’appartenance identitaire devraient découvrir les bienfaits de l’exploration de leur ridicule, car aucun humain n’en est exempt. Je rêve d’un chrétien qui explore son athéisme caché comme un adolescent découvre les joies de ses premières caresses, avec une aussi petite que voluptueuse culpabilité possible. Et ceci vaudra tout aussi bien pour l’athée qui vibre au son d’une grande messe de Mozart, où le haut-fonctionnaire qui frémira à l’évocation de quelque communauté libertaire. Cela permettra peut-être de couper l’herbe sous le pied de ceux qui veulent en découdre, qui au nom d’un « choc des civilisations » qu’ils ont eux-même inventé, nous ressortent un vieux film des années 80 dans lequel « il ne peut en rester qu’un ». Il n’est pas une idéologie qui ne possède en ses fondements ou ses applications une bonne dose de paradoxes et donc d’occasions d’en rire. Saisissons les plutôt que de nous laisser précipiter dans les rangs des littéralistes qui en ce moment, tous bords confondus, doivent saliver comme des francs-maçons devant un bébé bien gras avant une cérémonie. Aux noirs corbeaux avec barbe ou encore au crâne rasé, parmi tant d’autres, opposons un nouveau Corneille : « et le combat ne commença pas faute de combattants ».

Et pour ma part, plutôt que des marseillaises ou des défilés, je suggérerai comme hommage à ces artistes, qui ont illuminé mon adolescence et ma longue décrépitude, de rire du beauf qui est en chacun de nous, de leur dédier nos prochains orgasmes, d’aimer suffisamment des gens pour rire d’eux avec eux, de refuser de faire des victimes des martyrs ou des héros, il y en a déjà tellement trop, et enfin, d’estimer que la vulgarité et l’outrance, c’est de débarquer arme à la main dans une rédaction et d’y faire un massacre, pas de dessiner des seins et des bites. Alors merde aux « cons  qui n’ont de cet organe ni la saveur ni la profondeur » comme le disait si bien Léo Campion. Et surtout merci à vous les gars pour m’avoir appris, avec Umberto Eco, que le rire tue la peur en plus de tout le bien qu’il procure.

G.Goy